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  • Photo du rédacteurPiment Rouge

Enquête sur les interactions avec les orques du Détroit de Gibraltar

Dernière mise à jour : 4 févr.




Depuis juillet 2020, de nombreux voiliers rencontrent des orques aux abords de la côte Atlantique européenne (744 recensés par Grupo de trabajo Orca Atlántica - GTOA au 05/06/2023), en particulier à l'entrée du Détroit de Gibraltar (plus de 30 interventions par la Salvamento Maritimo de Trarifa en mai 2023).

On parle “d'interaction". De plus en plus de média non spécialisés décrivent le phénomène de manière sensationnelle : “Multiplication d’attaques ; les dents de la mer en noir et blanc ; Vengeance de Willy ; terreur ; angoisse…” pour décrire ce groupe d’une quinzaine d’orques  avec des informations contradictoires de rumeur de port. Le catamaran Outremer 51 Piment Rouge a fait involontairement sa propre expérience d’interaction avec les orques dans la nuit du 02 au 03 juin et a profité du temps de réparation pour enquêter à Barbate et essayer de mieux comprendre ce qu’il en est.


Ce que nous avons vécu à bord factuellement :


Les rencontres avec les orques sont décrites par les biologistes en tant qu'observations ou interactions. Les observations sont des rencontres visuelles à distance. Les interactions peuvent être indirectes lorsque les orques s’approchent ou directes lorsqu’il y a contact physique avec le bateau. Sur son retour vers la Mer Méditerranée depuis les Turks et Caïcos, Piment Rouge a rencontré à trois reprises les orques en 12h à l’approche du Détroit de Gibraltar.

Conscients des risques d’interaction dans cette zone, tout l’équipage s’est tenu informé grâce à la documentation de bord et les dernières communications sur le sujet. Nous avions pris la décision d’aller vers la côte marocaine depuis le Cap Saint Vincent au Portugal. Un autre catamaran à 5 MN en arrière “Humanes” avec qui nous avions discuté à la VHF, a fait le même choix de route.


Le 02 juin 2023 (20h45 TU 36°08'N/06°57'W), nous croisons un premier groupe d'orques dans le cadre d’une observation. Le vent est faible (5 nds), nous sommes en voile soutien moteur au cap 105° pour ne pas perdre trop de temps dans cette zone, tout en évitant les “Dispositifs de Séparations du Trafic” (DST : couloir officiel de passage des navires marchands). Nous réduisons les moteurs et restons dans un silence de circonstance avec les orques à distance. C’est un petit groupe de 5-7, difficile à distinguer dans le crépuscule malgré la mer calme. Ils disparaissent de notre visibilité au bout de 5 minutes nous laissant soulagés. Nous appelons Humanes pour les avertir, mais pas de réponse.

Durant le nuit, à l’approche du resserrement du Détroit, le vent se lève et tourne de face (17 nds ; 100°). Nous en profitons pour descendre au plus vite de travers vers la côte marocaine (cap 150). Puis le vent tourne et nous envoie directement vers le premier DST du Détroit de Gibraltar. Nous essayons de le longer sur sa partie nord (cap 90°), puis devons tirer un bord (cap 50°) pour se replacer et couper le DST à l’arrière en toute légalité.



A l'aube du 03 juin (04h30 TU 36°02'N/06°13'W), nous sommes replacés pour assurer notre virement. A ce moment, un choc secoue le bateau et rompt la drosse reliant la barre à roue aux safrans. Un groupe d'orques juvéniles est regroupé à l'arrière de Piment Rouge ! Nous appliquons les directives GTOA : Arrêter le bateau en affalant les voiles, éteindre le pilote automatique et les instruments de navigation, et laisser la barre lâche. Nous appelons immédiatement la Salvamento Maritimo (MRCC espagnol) sur le canal 16. Nous voici à l'arrêt. Les orques s'acharnent sur les skegs (quillons de protection des hélices). Au premier skeg arraché, un orque joue à l'écart avec. Puis un deuxième s'en va de même avec le second skeg. Deux autres orques cherchent aussi des parties à arracher. Au bout d'une quinzaine de minutes, un orque beaucoup plus gros, que nous n'avions pas remarqué, passe à une cinquantaine de mètres et le groupe se disperse. Nous attendons quelques minutes avant de remettre les moteurs. Nous testons les safrans à la barre franche et au pilote automatique. Nous sommes toujours manoeuvrants. La Salvamento Maritimo, toujours en liaison radio, nous encourage à nous dérouter vers Barbate d’où est parti le Salvamar Enif pour nous escorter. Nous nous rejoignons en 30 minutes.



Malgré l'escorte, un orque solitaire adulte vient percuter violemment le safran de la coque tribord (07h10 TU 36°07'N 06°03'51W). Nous appliquons de nouveau les consignes d’arrêt. Le bateau escorte nous tourne autour, nous encourageant à continuer d’avancer. L'orque est insensible à cette manœuvre. Celui-ci se dirige même vers le Salvamar Enif, avant de revenir percuter nos safrans et de se retourner pour essayer de les croquer. Au bout d'une dizaine de minutes, l’orque se met à l’écart. Son souffle reste visible. Nos safrans ne sont clairement plus alignés, mais nous restons manoeuvrant en nous adaptant. Nous faisons route vers Barbate sous escorte, un équipier guette à chaque bord. Nous arrivons après une observation et deux interactions directes : la drosse de barre à roue rompue, les 2 skegs arrachés, un safran tordu et un safran voilé.



Enquête à Barbate : 


Cette expérience a été impressionnante et clairement marquante. Nous avons subi de la casse matériel qui nous force à réparer le bateau sur place. Cependant, au regard de la taille et la puissance des orques, nous ne nous sommes senti ni agressé ni mis en danger physiquement, seulement un sentiment d’impuissance et de tristesse en voyant Piment Rouge se faire mâchouiller. Nous avons aussi pu constater que les directives GTOA et Salvamento Maritimo pouvaient être contradictoires (s'arrêter et avancer le plus vite possible). Ce qui semble compréhensible quand en 12h, nous avons fait 3 rencontres aussi différentes en nombre et en impact. Tout ceci nous a questionnés pour enquêter à Barbate pendant les réparations.



Sur place, 2 trimarans neels et 2 monocoques sont présents suite à des interactions directes. C’est aussi le port d’attache du Salvamar Enif. Nous sommes entrés en contact avec GTOA (www.orcaiberica.org), les autorités espagnoles et nous avons été contactés par Orcas@Portugal&Spain (orcas.pt). L’occasion de récolter différents points de vue.

GTOA essaie de récolter puis d'analyser un maximum de données pour comprendre le phénomène des interactions (localisation, heure, taille du bateau, couleur de coque…). 91% des interactions concernent des voiliers de 12-14 m à 5-6 nœuds de vitesse selon l'analyse des données. Effectivement, cela correspond complètement à notre entourage. De même, les témoignages indiquent des interactions plutôt de jour. Néanmoins, GTOA insiste sur le fait que si “moins (22%) d’interactions ont lieu la nuit, les interventions nocturnes de la Salvamento Maritimo sont moins simples”. Si la durée moyenne des interactions est de 31 minutes”, au regard de nos voisins de port, il existe une grande diversité : Les nôtres ont duré 20 et 10 minutes, la première interaction avec le trimaran Neel 43 “Greenwich Explorer” de SailEasy a durée 1 heure alors que l’autre trimaran Neel 51 a perdu son safran en 5 minutes. Selon la Salvamento Maritimo, la plupart des interventions se terminent en remorquage (pour 24 interventions du Salvamar Enif : 20 remorquages, 3 escortes et 1 sauvetage). Selon notre expérience et celle de Greenwich Explorer, le remorquage ou l’escorte ne protège pas de nouvelles interactions.

Si GTOA s'intéresse au comportement des orques pour comprendre comment réagir, les autorités espagnoles et Orcaspt s'intéressent à comment minimiser les interactions. Ainsi, leurs recommandations diffèrent : GTOA conseille d’arrêter le bateau tandis que les autres encouragent à regagner la côte le plus vite possible. Greenwich Explorer a constaté qu’après avoir redémarré après que les orques se soient lassés, ils sont revenus plus nombreux. De notre côté, les deux groupes étaient totalement différents et les autres voiliers ont été arrêtés de fait, n’étant plus manoeuvrant. Il est donc difficile de conclure à une solution. D'ailleurs, d’après le retour de GTOA l'application de leur protocole “fait perdre aux orques leur intérêt dans 60 % des cas”, ce qui n’est pas loin d’une chance sur deux. L’idéal étant donc d’éviter les orques.

Les autorités espagnoles s’appuient sur le suivi satellitaire de 6 orques marqués (dont un ayant déjà interagi) pour propose une synthèse hebdomadaire des déplacement de ce groupe et ainsi, proposer une carte de probabilité de rencontre autour du Détroit de Gibraltar (Zonas de presencia de orcas en la última semana, en base a marcaje satelital). Celle-ci corrobore les témoignages locaux qui encouragent à “longer les côtes le plus près possible avec un minimum de fond à partir du nord de Cadix”. Cependant, cette carte ne s’étend pas jusqu’au lieu de notre première rencontre. Orcaspt complète cette carte avec les données de déclarations à GTOA, les interventions MRCC et leur communauté numérique de plus de 1400 navigateurs pour essayer d’indiquer la présence des orques en temps réel. Ces données sont ensuite fournies en collaboration avec les autorités espagnoles pour le développement de l’application “Orcinus”.


Comment contribuer ? :


Il existe une grande variation d’interactions et de points de vue. Cependant, tout le monde s’accorde sur le fait que ces interactions sont plus des sabotages matériels que des agressions physiques. Si ces interactions recensées augmentent depuis 2020, aussi pénibles soient elles, elles restent peu nombreuses par rapport au nombre de voiliers qui passent. Humanes a atteint Gibraltar sans encombre en passant au même endroit que nous 4h après. De même, un des monocoques au port a été averti de la présence d’un orque “en observation” par un autre voilier qu’il a croisé. Il est donc difficile de se faire une idée précise de la situation par manque de données ou leur diversité. A titre d’exemple, il n’est pas certain que les “observations” soient correctement recensées par rapport aux interactions (la MRCC n’est pas concernée et GTAO pas forcément renseignée). Dans leurs recommandations, les autorités maritimes espagnoles insistent bien sûr “l’obligation pour chaque capitaine / skipper de signaler les événements susceptibles de constituer un danger pour la navigation, et, par conséquent, les rencontres avec les orques, doivent être signalées au centre de coordination de sauvetage maritime correspondant.

Ces données sont très importantes. Si le phénomène perdure, une des solutions pourrait être d’incorporer le risque de présence des orques pour les routages de navigations à l’approche du Détroit de Gibraltar, au même titre que les données météorologiques, les courants, les DST et les piscicultures. L'analyse de ces données pourrait avoir un impact sur les saisons des transats ou des navigations aux abords du Détroit de Gibraltar.


En attendant des solutions, mieux vaut être préparé à bord en cas d’interaction :

  • se mettre d’accord sur le protocole (arrêt ou fuite vers la côte)

  • appeler immédiatement la MRCC

  • vérification des pompes de cale et vérification régulière du tube de jaumière (principal risque de voie d’eau)

  • se rappeler que si les raisons du comportement des orques dans cette zone sont encore mal connues, leur comportement reste stéréotypé dans la destruction des safrans. Les orques sont des animaux protégés et il est impossible de prévoir leur réaction, en cas de réponse agressive des voiliers.


Merci au MRCC de Tarifa et au Salvamar ENIF de Barbate pour leur réactivité rassurante.

Bravo aux différents médias qui aident à la navigation en diffusant des consignes de sécurité et la localisation des orques.


Informations pratiques :

- Ministerio para la Transición Ecológica y el Reto Demográfico : Población de orcas del Estrecho de Gibraltar y Golfo de Cádiz (miteco.gob.es)

- Grupo de trabajo Orca Atlántica : www.orcaiberica.org

- Orcas@Portugal&Spain : orcas.pt


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